Aujourd'hui, c'est sur les bords de la côte adriatique que j'ai trouvé mon inspiration...
Comme je le rappelle de temps en temps sur ces pages : mon boulot n'a rien à voir, ni avec la botanique, ni avec la cuisine. Par contre, celui-ci me permet de voyager assez régulièrement et ainsi d'expérimenter la cuisine des différentes contrées que je visite.
Il se trouve qu'en janvier, j'ai passé quelques jours en Croatie, plus précisément à Split. C'est une destination assez récurrente pour moi, ce qui sur la durée m'a donné l'occasion de tester de nombreuses spécialités dalmates, et même d'expérimenter le sauvage local.
|
Beaucoup de plantes sauvages sur le littoral croate, malheureusement très urbanisé et donc peu propice à la cueillette. Mais il suffit de s'aventurer au printemps sur des îles comme Brač (en arrière-plan à droite sur la photo), Šolta ou Hvar (les plus proches de Split) pour redécouvrir de véritables trésors qui ont presque disparu de nos propres côtes. |
En dehors de l'huile d'olive (omniprésente dans toute la cuisine de la région), des poissons et fruits de mer (côte adriatique oblige), des fruits méditerranéens (on trouve par exemple des arbousiers et des grenadiers un peu partout), j'ai été surpris de retrouver les blettes dans beaucoup de préparations, dont deux très fréquentes : les "blitva sa krompirom" (blettes aux pommes de terre) et surtout les "soparnik" (des sortes de grandes galettes fourrées aux blettes). Le nom local de la plante, "blitva", n'est pas si loin du nom qu'on lui donne chez nous.
Or il se trouve que les blettes, dans leur version sauvage (beta vulgaris subsp. maritima), c'est aussi une de mes plantes préférées. Une plante que je ne manque jamais de ramener chaque fois que je vais faire un tour sur le littoral le plus proche de chez moi, c'est à dire celui du Calvados.
|
Grandcamp-Maisy. |
Il y a justement deux semaines, peu de temps après mon retour de voyage en Croatie, j'étais en balade à proximité de Grandcamp. Comme bien souvent le long des sentiers côtiers, la bette ne manquait pas !
|
Bette maritime (beta vulgaris subsp. maritima).
Bisannuelle, voire vivace, c'est une plante qui passe l'hiver tant bien que mal en comptant sur les riches réserves de ses racines (ce n'est pas pour rien qu'elle est l'ancêtre de la betterave à sucre) et qui au besoin sacrifie ses feuilles au gel pour se préserver. Or comme pour l'instant le gel ne se manifeste pas vraiment, seules les feuilles périphériques noircissent et flétrissent (on les voit en arrière-plan de la photo). Au centre, les feuilles continuent de croître et on trouve déjà des rosettes aux allures printanières : une véritable invitation à la cueillette ! |
De retour à la maison avec une besace bien pleine, mais aussi avec en tête le souvenir encore frais de plusieurs "soparnik" dégustés à Split, devinez donc ce que j'ai préparé...
J'ai tout d'abord lancé la préparation de la pâte : farine, eau, sel et huile d'olive. Difficile de dire les proportions, j'ai fait au juger (en gros même proportions que pour les pizzas, sans la levure) pour obtenir une pâte souple et homogène qui ne colle plus aux doigts. Roulée en boule, je l'ai laissée reposer deux heures.
Sans attendre, j'ai bien lavé et égoutté les feuilles de bette (une bonne quantité). Je les ai ensuite hachées finement (mais pas trop), salées et laissées reposer sur un linge absorbant (le sel leur fait rendre de l'eau et les attendrit).
Au bout de deux heures, j'ai réparti les feuilles hachées dans deux saladiers dans le but de faire deux types de soparnik : un nature et un au fromage. J'ai donc émietté un beau morceau de chèvre mi-frais dans un seul saladier, puis ajouté quelques gousses d'ail pressées et de l'huile d'olive dans les deux. J'ai ensuite bien mélangé afin que ces deux farces soient homogènes.
Au bout de deux heures, j'ai divisé la pâte en 4 pâtons de même taille. J'ai abaissé un premier pâton généreusement fariné pour obtenir un grand disque d'environ 1mm d'épaisseur. Enroulé délicatement autour mon rouleau, je l'ai ensuite déroulé au bon endroit sur ma plaque de cuisson (technique toute simple et très pratique pour déplacer une pâte fine et fragile, mais à condition qu'elle soit bien farinée).
J'ai ensuite couvert toute la surface avec la première des deux farces en prenant soin de laisser une petite marge nue tout autour. Après avoir abaissé un second pâton, je l'ai placé sur le premier, de manière à tout recouvrir.
J'ai ensuite chassé l'air puis froncé la pâte sur tout le pourtour et finalement enfourné le tout à 250°C pour 10 à 15 minutes (le roussissement de la pâte me sert d'indicateur). Lors de la cuisson, la vapeur générée par la farce fait se gonfler la galette. En perçant un trou au couteau en son centre à mi-cuisson, celle-ci se dégonfle rapidement et reste relativement plate.
J'ai ensuite fait exactement la même chose avec les deux autres pâtons et la seconde farce.
Une fois les soparnik tiédis, je les ai débités en carrés afin de pouvoir en consommer une partie immédiatement (les chutes), et placer le reste dans une boite, me permettant ainsi de les conserver quelques jours au frais.
Dégustés chauds sur le moment, froids plus tard, et même réchauffés, ces soparnik ont vraiment un petit goût de Croatie, même si ce sont des bettes normandes à l'intérieur !
Dobar tek !
En mars, j'en referai probablement en remplaçant les gousses d'ail par les feuilles hachées d'un ail sauvage comme l'ail triquètre (qu'on trouve assez facilement sur le littoral) ou l'ail des ours (qu'il faut plutôt aller chercher en forêt).
Note: En cherchant sur les wikipedia anglais et croates, on trouve
[cette très intéressante vidéo] , qui montre toute la préparation traditionnelle...