Celles et ceux qui lisent régulièrement les lignes de ce blog savent que j'apprécie tout autant la montagne que le littoral. Or, en cette période hivernale, on ne pas dire que la montagne ait grand chose de sauvage à offrir pour se mettre sous la dent (ou alors, il faudrait se mettre à la chasse).
C'est donc sur la côte que je passe beaucoup de mon temps libre à la morte saison, à plus forte raison lors de grandes marées, comme ce fut le cas ce week-end.
Malheureusement, le beau temps n'a pas été pas au rendez-vous : malgré une température plutôt douce pour la période (entre 6 et 8°), le vent fort et les nombreuses averses n'incitaient pas à chausser ses bottes pour arpenter les rochers à marée basse. Pour couronner le tout, la forte houle poussée vers la côte par le vent du large annulait une partie des effets des grands coefficients...
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... inversement, à marée haute, les effets se retrouvent amplifiés et les plus grosses
vagues en sont venues à envahir les bocages du bord de mer. |
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Surprise parmi les objets apportés par la marée : une bouée couverte d'anatifes (lepadomorpha).
Il ne faut pas les confondre avec les délicieux pousse-pieds (photo [ici]), qu'on trouve parfois
sur les rochers battus par les vagues. |
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Les bécasseaux de sanderling (calidris alba) eux aussi font le tour des plages, à la recherche
de quelques menus butins à picorer. Je suis certains qu'il auraient bien aimé tomber sur
les anatifes... |
Pourtant, malgré les conditions, une fois sur place, on oublie tout : l'eau qui se retire exerce une sorte d'attraction, l'envie d'aller explorer ce qu'elle ne laisse apparaître que quelques jours dans l'année, l'espoir de dénicher un tourteau, voire un homard...
Cette fois-ci, à part quelques petites étrilles, aucun crustacé dans les tailles réglementaires n'a daigné se montrer. Heureusement, sous certains rochers, il y a aussi des coquillages...
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Ormeau (haliotis tuberculata). Comme il pleuvait abondamment, je n'avais pas pris mon appareil photo
avec moi, cette photo est donc une ancienne, sortie des tiroirs pour illustrer le billet. On y voit nettement
les bords du pied-ventouse avec lequel ce gastéropode se colle aux rochers pour brouter les algues
à sa portée. De ce point de vue, il est très comparable aux patelles (chapeaux chinois). |
Deux ormeaux, c'est finalement ce que j'aurai ramené après deux heures passées sous une douche glacée. Largement au dessus de la maille (9 cm mini, dans la limite de 12 par personne), je les ai bichonnés, d'autant que c'est un coquillage au pied très sensible (il est hémophile)... mais tellement bon !
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L'aspect extérieur des coquilles des ormeaux, très discret, mimétique avec les rochers sur lesquels
il se colle, contraste énormément avec le brillant nacré de la face intérieure. On devine la forme
spiralée de la coquille, lui donnant l'aspect d'une oreille (d'où ses autres noms : oreille de Saint-Pierre
ou oreille de mer). Les trous régulièrement espacés lui servent à passer ses papilles sensitives.
Ceux-ci se déplacent au fur et à mesure que le mollusque grandit, les plus anciens étant
finalement comblées par la nacre. |
Alors que la préparation traditionnelle consiste à les cuire dans un peu de beurre (éventuellement avec de l'ail) après les avoir "attendris" en les martelant fermement, je préfère de mon côté profiter de leur fraîcheur pour les déguster crus, en sashimis.
C'est à mon avis le seul moyen de pleinement profiter du véritable goût de ce coquillage exceptionnel, sans aucunement le dénaturer.
Pour les préparer, il faut commencer par séparer le pied de la coquille en glissant un couteau bien aiguisé le long de la coquille de son côté le plus fin (celui où aboutie la ligne de trous). On le débarrasse ensuite des entrailles (à conserver pour relever un fumet de poissons ou de crustacés). Au final, il ne reste que le muscle (qui constitue la majeure partie du mollusque) qu'il faut ensuite laver.
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Comme c'est une chair au goût très fin, il ne faut pas l'accompagner avec une sauce trop forte.
Exit la sauce soja et le wasabi, remplacés par quelques fleurs de moutarde et des graines de
criste marine macérées au vinaigre. |
On peut alors le découper immédiatement ou le laisser s'attendrir en l'oubliant une journée au réfrigérateur : dans tous les cas, pour conserver une belle texture, et contrairement aux préparations où les ormeaux sont cuits, on ne le bat pas.
Il ne reste plus qu'à le découper en fine lamelles. Il faut éviter d’abîmer la chair en la sciant avec plusieurs allers-retours et plutôt essayer de prélever chaque lamelle en n'effectuant qu'un seul passage de la lame à chaque fois. Il faut donc un couteau où elle est longue et surtout bien aiguisée.
L'orientation de la coupe a son importance car s'agissant d'un muscle, il vaut mieux éviter de couper dans le sens des fibres. De mon côté, je pose le pied à plat et découpe des lamelles d'environ 1 mm d'épaisseur à 45° par rapport à la verticale. Elles conservent une texture ferme sans pour autant être coriaces.