mardi 22 octobre 2019

Les cèpes, c'est le pied !

Cèpe de Bordeaux (boletus edulis).
En France, il n'existe que 5 espèces considérées comme de vrais cèpes, toutes appartenant au genre mycologique "boletus" : le cèpe de Bordeaux et ses proches (clade des boletus edulis), le cèpe d'été (boletus reticulatus syn. boletus aestivalis), le cèpe bronzé (boletus aereus), le cèpe des pins (boletus pinophilus syn. boletus pinicola) et enfin le cèpe de la Maâmora (boletus marmorensis) qu'on ne trouve qu'en zone méditerranéenne.
Dans les forêts automnales, le cèpe, c'est LE champignon que tout le monde recherche.
Du coup, lorsqu'ils sont absents, nombreux sont ceux qui repartent déçus. Bien moins nombreux sont ceux qui osent se rabattre sur d'autres espèces plus méconnues et parfois aussi bonnes, voire même meilleures.
Mais même pour ces derniers (et j'en fait partie), trouver un beau cèpe a quelque chose d'exaltant, presque magique.
Est-ce dû à son allure majestueuse, à la prestance que lui donne son pied en massue ? Est-ce dû à sa taille ou à sa masse souvent imposantes ? Est-ce dû aux délicieuses préparations qu'on s'imagine déjà déguster ?
Quelle qu'en soit la raison et quoi qu'on en dise, le cèpe, c'est vraiment le roi des champignons. Mais c'est un roi au trône fragile et pour lequel on ne compte plus les tentatives d'usurpation. Car si avoir des tubes sous son chapeau suffit généralement pour mériter le nom de "bolet", avoir un beau pied n'est pas un attribut exclusif des cèpes.

Voici donc, pour vous faire une idée, quelques-uns des usurpateurs aux beaux pieds, plus ou moins proches, plus ou moins comestibles, plus ou moins toxiques :
Bolet de fiel ou bolet amer (tylopilus felleus)
C'est sans doute le bolet avec lequel la confusion est la plus facile. Même couleur de chapeau que les cèpes, pied couvert d'un réseau nettement visible, tube blancs pour les spécimens les plus jeunes, on pourrait s'y laisser tromper. Mais à regarder de plus près, plusieurs différence apparaissent. Tout d'abord le réseau sombre voire noir sur fond brun clair alors qu'il est blanc ou ocre sur les cèpes, selon les espèces. Ensuite, les tubes dont les pores sont un peu plus larges que ceux des cèpes et qui ont tendance à rosir puis à noircir (alors qu'ils jaunissent puis verdissent avec les cèpes). Heureusement, cet usurpateur de première n'est pas toxique. Il est seulement amer, très amer, très très très amer, au point qu'un seul spécimen au milieu d'une dizaine de cèpe suffirait à gâcher un plat !
Bolet à pied rouge (neoboletus erythropus, anciennement boletus erythripus puis boletus luridiformis)
Une silhouette familière, mais un pied rouge sans réseau et une chair jaune bleuissant intensément à la coupe, plus ferme et plus dense que celle des cèpes. Avec, pour finir le portrait, un chapeau brun velouté sur le dessus et des tubes jaunes bleuissant avec des pores rouges sur le dessous. Cette couleur rouge très présente conduit d'ailleurs beaucoup de néophytes à la prendre pour le bolet satan, alors qu'il est très différent d'aspect (voir un peu plus loin) et surtout, c'est un bon comestible lorsqu'il est cuit (il est toxique cru). A noter qu'il pousse plutôt sur sols non calcaires, sous feuillus et sous conifères.
bolet radicant (caloboletus radicans, anciennement boletus radicans)
Là, le pied n'est pas en massue mais carrément en bulbe, façon ampoule électrique (il lui arrive aussi d'être plus droit, mais massif dans tous les cas). Il est couvert d'un réseau très discret. Sa chair est jaune et bleuit à la coupe. Quant au chapeau, blanc au dessus, ses tubes et pores sont jaunes sur le dessous. Poussant principalement sous feuillus et sur sol calcaire, ce champignon n'est pas comestible, il est juste immangeable du fait de son amertume.
Bolet satan (rubroboletus satanas, anciennement boletus satanas puis Suillellus satanas)
Le voilà celui que les néophytes redoutent. Pied enflé, rouge vers le bas, orangé puis jaune vers le chapeau, couvert d'un discret et fin réseau rouge sur le haut, avec une chair jaune très claire bleuissant sans excès à la coupe. Chapeau blanc au dessus, avec au dessous des tubes jaunes et des pores jaune-orangé virant au rouge avec l'âge. Toxique cru (gastro-entérite durant plusieurs jours), selon certains, il serait comestible après une longue cuisson, mais ce dernier point fait toujours débat. Dans le doute, mieux vaut donc s'abstenir. A noter que c'est un champignon plutôt thermophile poussant sous feuillus sur sol calcaire.
Bolet orangé (leccinum aurantiacum syn. leccinum quercinum)
Le pied méchuleux est assez caractéristique des champignons de ce genre (leccinum) dont certains, surtout lorsqu'ils sont jeunes, peuvent présenter un pied massif façon cèpe. Que ce soit le bolet rude (leccinum scabrum), le bolet orangé (leccinum aurantiacum syn. leccinum quercinum) comme sur la photo ou leurs autres cousins à tubes blancs, aucun n'est toxique. Jeunes, ils sont même considérés par certains comme de bons comestibles (surtout le bolet orangé), mais la fermeté extrême de leur pied sur les spécimens avancés en dissuade plus d'un ! Leurs espèces sont parfois difficiles à distinguer les unes des autres, mais l'identification des arbres sous lesquels ils poussent permet de faire une partie du chemin.
Bolet blafard (suillelus luridus, anciennement boletus luridus)
De nouveau la silhouette typique du cèpe, mais là non plus, la couleur ne correspond pas. Que ce soit le réseau rougeâtre nettement visible sur le pied, la chair bleuissante et les tubes jaunes à pores orangés puis rouges avec l'âge. Mais cette description reste assez vague car le bolet blafard a des couleurs très variables. Il est toxique cru mais comestible cuit. Moins ferme que le bolet à pied rouge, une fois bien cuit, il se rapproche même des cèpes !
Bolet bai (imeleria badia, anciennement xerocomus badius puis boletus badius)
Les "cueilleurs du dimanche" les appellent souvent juste "bolets", mais cette courte désignation ne veut pas dire grand chose, puisque comme dit précédemment, le nom vernaculaire "bolet" désigne quasiment tous les champignons à tube poussant en terre, y compris les cèpes. En gros, "bolet" désigne plus généralement tous les membres de la famille des boletacés. Il suffit pourtant juste de 3 lettres supplémentaires pour désigner l'espèce de la photo sans ambiguïté car il s'agit en effet du bolet bai. Leur pied est généralement assez frêle, mais on en trouve parfois avec un pied gonflé aux faux-air de cèpe. Avec des tubes jaunes bleuissant, un pied ocracé à la chair blanc-beige pouvant légèrement bleuir à la coupe et un chapeau brun, il est assez facilement identifiable. Et surtout, même s'il n'a pas la finesse du cèpe, c'est un bon comestible, malheureusement trop souvent véreux.

Lorsqu'ils sont très jeunes, les cèpes, les vrais, peuvent être dégustés crus, qualité qui n'est pas donnée au premier champignon venu. A tout bien y réfléchir, je ne vois d'ailleurs que quelques agarics (dont le champignon de Paris), la langue de bœuf, quelques pézizes et bien entendu l'amanite des césars (merci à Colibri pour son rappel) à partager cette qualité, si on exclut tout ceux qui ne sont pas toxiques, mais sans intérêt culinaire à être consommés crus.
Un bouchon idéal pour un carpaccio, mais...
Mais attention, en dégustant un champignon cru, on prend le risque d'une contamination par des parasites tels que l'échinocoque (à l'origine de la "maladie du renard" ou échinococcose alvéolaire).
Pour minimiser les risques (et je parle bien de minimiser, pas de les supprimer), un cèpe consommé cru devra donc être cueilli loin de toute zone souillée. A noter au passage que contrairement aux idées reçues, ce n'est pas via l'urine mais via les fèces des carnivores que le parasite peut se transmettre.
Les cueilleurs habitant l'ouest de la France prendront de base moins de risques puisque les principaux foyers de cette zoonose se situent à l'est (bande allant des Hautes Alpes à la Meuse en passant par le Jura) et en Auvergne.
Pour vous faire une idée par vous-même, je vous invite d'ailleurs à lire l'article de wikipedia sur le sujet et en particulier les passages sur les zones et les facteurs de risques (ici et ). C'est, je le pense, une assez bonne synthèse.

Bien que délicieux, le carpaccio de cèpes est un plat que, personnellement, je ne consommerai pas avec des champignons qu'on m'aurait donnés, qui auraient été achetés ou que j'aurais moi-même cueillis dans une région à risque. Ceux de la photo ont par exemple été cueillis dans une forêt des Côtes d'Armor, région peu, voire pas atteinte par la zoonose. Malgré tout, même dans ces conditions, le risque ne peut pas être totalement nul.

Pour consommer les cèpes sans risque de contamination, la cuisson est la seule solution. Mais cru ou cuit, s'il vous plait, ne les lavez pas à l'eau. Les champignons, et particulièrement les cèpes, agissent comme des éponges et vous gâcheriez votre récolte. Un cèpe, ça se gratte avec le couteau, ça se frotte avec un pinceau, ça se nettoie avec un linge humide... mais ça ne se lave pas !

Si vous les saisissez rapidement à la poêle sur feu vif dans un peu de matière grasse, il ne faudra surtout pas en mettre trop à la fois, ne pas les saler (une fois cuits uniquement), ne pas les couvrir et résister à l'envie d'y toucher ou de les remuer avant que la face en contact avec le métal ait commencé à dorer. Ne pas respecter ce délai aurait pour effet de leur faire rendre de l'eau et au final de les ramollir, voire d'en faire de la bouillie. Pour garder de la mâche, une coupe en tranches de 1 à 2 cm d'épaisseur est idéale. Ce mode de cuisson aura pour effet de provoquer la fameuse réaction de Maillard, une sorte de caramélisation qui va concentrer et amplifier toutes les saveurs du champignon en lui donnant cet aspect doré. Pour compléter, pourquoi ne pas rajouter un peu d'ail pressé en fin de cuisson (il doit quand même cuire un minimum, sans griller, pour ne pas prendre le dessus sur le cèpe) et une pincée de persil finement haché en dehors du feu. Préparés ainsi, ils se suffisent à eux-mêmes, mais font aussi un excellent accompagnement.

Autre possibilité : la cuisson lente, qui permet d'infuser les délicates saveurs du cèpe dans votre préparation, comme avec la recette suivante.

Gratin de pommes de terre
aux cèpes

Ingrédients :
  • 1kg de pommes de terre
  • 300g de cèpes bien fermes
  • 20cl de crème entière liquide
  • 50cl de lait entier
  • 50g d'emmental
  • 1 gousse d'ail
  • Une noix de beurre
  • Poivre et sel
Préparation :
  • Laver et peler les pommes de terre
  • Les émincer finement à la mandoline (tranches de 1 à 2mm d'épaisseur)
  • Nettoyer les cèpes et les émincer finement (tranches de 2mm d'épaisseur)
  • Beurrer le fond d'un plat à gratin
  • Y parsemer l'ail finement haché
  • Ajouter ensuite en alternant de fines couches de pommes de terre et de fines couches de cèpes (3 à 4 de chaque) pour finir avec les cèpes
  • Saler, poivrer
  • Râper l'emmental et le répartir sur le dessus
  • Verser la crème et le lait
  • Enfourner pour à 180°C pour 1h30
Important : Ne pas plonger les pommes de terre dans l'eau une fois émincées, elles perdraient l'amidon qui participe grandement à la tenue du gratin.


lundi 21 octobre 2019

Retour aux fondamentaux

Avec le retour de la pluie et d'une température plus douce, l'automne n'est pas que la saison des champignons et des fruits. C'est aussi la saison des repousses.
C'est le cas pour beaucoup de plantes là où elles ont été fauchées, et c'est particulièrement le cas avec les orties. Désormais, à la place des tiges desséchées, vestiges d'un été difficile, se dressent de jeunes pousses toutes neuves, bien vertes et tendres : l'idéal pour qui veut les cuisiner.

L'ortie dioïque (urtica dioica), la plus commune, se distingue de l'ortie brûlante (urtica urens) par des inflorescences ramifiées. A noter que les tiges ne sont pas les seules parties de la plante couvertes d'aiguillons. On peut en trouver sur les feuilles, aussi bien dessus que dessous, sur les pétioles et même sur les inflorescences !
Et cuisiner cette "mauvaise herbe", c'est plutôt intéressant. Très protéique (de 30 à 40% de la masse sèche), elle fournit une très grande diversité d'acides aminés, dont les 8 essentiels pour l'homme (tryptophane, lysine, méthionine, phénylalanine, thréonine, valine, leucine et isoleucine). Elle est aussi source de nombreuses vitamines (C et A en particulier) ainsi que de minéraux. En gros, c'est le "super-aliment" sauvage par excellence !

Si d'aventure vous vouliez les cueillir à mains nues sans vous faire piquer, voici la technique : passer deux doigts sous les feuilles et les resserrer tout en remontant. Une fois la tige bien serrée, il suffit de tordre la tige et de tirer. Cette technique toute simple permet de casser ou au moins de coucher les aiguillons qui autrement injecteraient sous la peau leur cocktail d'acide formique, d'histamine, d'acétylcholine et de sérotonine (pour les principales substances). De quoi effectivement faire réagir la peau !

Ne cueillir que les sommités des orties, c'est à dire les 3 à 4 dernières paires de feuilles. En dessous, la tige est trop fibreuse et les feuilles plus anciennes peuvent former des cystolhites, des concrétions minérales microscopiques susceptibles d’irriter le système urinaire.

La recette d'aujourd'hui est à la fois classique et très simple, mais c'est peut être celle qui permet de profiter au mieux des saveurs spécifiques de la plante (hormis si on la mange crue, à tester au moins une fois)... et puis en plus, elle a toujours du succès.

Omelette aux orties et au fromage de chèvre


Ingrédients (pour 4) :
Très bonne chaude avec un peu de salade, cette omelette peut aussi se déguster froide, par exemple découpée en cubes pour l'apéritif.
  • Un grand saladier d'orties fraîches
  • Un fromage et demi de chèvre mi-sec type picodon, 
  • 8 œufs
  • Un peu de lait entier (optionnel)
  • Deux cuillères à soupe d'huile d'olive
  • Sel et poivre
Préparation :
  • Faire bouillir une grande quantité d'eau salée
  • Y plonger les orties jusque au retour de l'ébullition et attendre encore 2 minutes
  • Égoutter les orties (on peut récupérer l'eau de cuisson qui est assez aromatique et peut être utilisée comme bouillon végétal pour cuire des pâtes ou du riz par exemple)
  • Les refroidir en les plongeant dans de l'eau froide
  • Les égoutter à nouveau, former une boule avec et la presser modérément de sorte à en évacuer une bonne partie de l'eau qu'elles ont fixé
  • Hacher la boule le plus finement possible
  • Incorporer les œufs et optionnellement un peu de lait si l'appareil est trop "sec"
  • Incorporer le picodon découpé en petits cubes
  • Saler, poivrer (attention, le fromage apporte déjà du sel)
  • Bien chauffer une poêle sur feu vif et ajouter une cuillère à soupe d'huile d'olive
  • Y verser l'appareil lorsque celle-ci est bien chaude,
  • Une fois celui-ci bien saisi, baisser le feu et couvrir
  • Lorsque le fond est bien doré et que le dessus a commencé à coaguler, retourner l'omelette dans une grande assiette
  • Remonter l'intensité du feu, ajouter la seconde cuillère d'huile d'olive dans le fond de la poêle
  • Y faire glisser l'omelette le temps qu'elle finisse de dorer
Note: On peut compléter les orties par d'autres plantes de saison. A essayer par exemple avec des feuilles de moutarde.
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