mardi 29 décembre 2015

Que des salades !

Qu'il est agréable, en cette fin d'année, de se balader sur les collines bordant le Rhône.
Ici, quelle que soit la pente, les coteaux les mieux exposés sont intégralement couverts de vignes (les vendanges dans le coin, ça doit être sportif !). Ailleurs, on alterne entre friches (peut-être d'anciens vergers, c'est aussi le coin) et forêts de chênes pubescents.

Ça, c'était hier au dessus de Crozes-Hermitage.
Aujourd'hui, c'est un peu plus ... mouillé !

Et bien entendu, au milieu de ce paysage courent de nombreux chemins sur les bords desquels poussent une multitude de plantes comestibles, certaines de saison, d'autre moins... perturbées par la douceur inhabituelle de cette fin d'année.

Discrète mais présente presque toute l'année, la petite oseille (rumex acetosella) se reconnait à sa petite taille et surtout aux oreillettes situées à la base du limbe. Celles-ci sont nettement visibles, perpendiculairement au pétiole, voire même pointant vers l'avant. La saveur de ses feuilles donne une touche délicatement acidulée aux salades auxquelles elles sont jointes. Ne pas confondre avec l'autre "petite oseille", qui pour le coup n'a rien d'une oseille et ne lui ressemble que par le nom, l'oxalis des bois (oxalis acetosella) et le goût.

Fréquentant les coteaux ensoleillés, mais pas trop, la laitue vivace (lactuca perennis, "bréou" en provençal) pourrait être prise pour un pissenlit (genre taraxacum). Mais la couleur gris-vert (presque argenté) de ses feuilles et la finesse de leur découpe permettent de ne pas se tromper... Quoiqu'il serait aussi possible de la confondre avec la laitue des vignes (lactuca viminea), dont les feuilles sont elles aussi très découpées lorsqu'elle est en rosette ou avec la chicorée sauvage (cichorium intybus). A l'exception de chocs gustatifs plus ou moins agréables (amertume variable selon les espèces, mais toujours présente), une erreur serait sans conséquence, toutes les plantes citées ici étant parfaitement comestibles.

En général, le début de l'hiver est l'occasion de se reposer pour la pimprenelle (sanguisorba minor), mais avec la chaleur actuelle, de jeunes feuilles refont leur apparition au cœur des rosettes. On les reconnait à leurs folioles encore repliés et au vert plus tendre, comme on peut le voir sur le haut de la photo. Leur saveur rafraîchissante est souvent comparée à celle des concombres. 

De la carotte (daucus carota) en fleur en plein décembre, quelle surprise ! En général, c'est plutôt au début de l'été qu'on voit ses ombelles fleuries moucheter de blanc les champs. Caractéristiques intéressantes pour ne pas les confondre avec ses cousines toxiques comme la ciguë ou l’œnanthe : son parfum... de carotte, les poils qu'on retrouve un peu partout et lorsque l'inflorescence a fait son apparition, une fleur de couleur sombre (du noir au rouge en passant par le pourpre) qui vient souvent orner le centre de l'ombelle (en regardant bien, on la voit sur l'ombelle en haut de la photo).

Les fleurs de l'achillée millefeuille (achillea millefolium) sont elles-aussi plus habituées au soleil estival. A cette époque, ce sont plutôt les restes séchés et brunis des hampes florales fanées qu'on s'attendrait à voir, ceux que le vent et les intempéries d'automne auraient épargné. Le parfum camphré et la saveur amer de la plante incite à une utilisation modérée. Pourtant, utilisées avec parcimonie comme aromate, les jeunes feuilles finement hachée de l'achillée apportent une note inattendue aux salades qui les accueillent.

La stellaire intermédiaire (stellaria media), elle, est une habituée du hors-saison. Ses nombreux noms témoignent de l'intérêt porté à cette plante, généralement cataloguée comme mauvaise herbe : morgeline, mouron blanc, mouron des oiseaux, A cette époque où elle est habituellement timide, la douceur actuelle lui permet de foisonner... au plus grand bonheur des connaisseurs appréciant sa saveur, qui selon les personnes évoque la noisette ou la terre.

Dans 6 mois, cette rosette (euh non, pas celle-là puisque je l'ai cueillie) donnera naissance à plusieurs fleurs aux pétales rouges : il s'agit en effet d'un coquelicot (papaver rhoeas). En attendant d'en prendre plein les yeux, les feuilles peuvent garnir les salades et les agrémenter de leur saveur délicate et de leur agréable texture.

En une fois toutes ces feuilles cueillies, triées, lavées, essorées et assaisonnées, ça a donné ça :


Cette belle récolte m'a aussi permis d'ouvrir une bouteille d'un vinaigre de mûres que j'avais confectionné au mois d'octobre, avec les toutes dernières trouvées. Je les avais alors entassées dans un bocal puis couvertes de vinaigre blanc avec un peu de sucre. Après une semaine de macération, j'avais pressé et filtré le tout à la passoire pour en éliminer les pépins, mais garder la pulpe. Depuis, la bouteille attendait patiemment à l'abri de la lumière dans un placard...

Non, il ne faut pas pousser : ce n'est pas en décembre que j'ai cueillies ces mûres (rubus fruticosus), mais au mois d'octobre, c'était quand même assez inhabituel, d'autant qu'il y en avait encore beaucoup !

dimanche 6 décembre 2015

À coquillages d'exception, accompagnement d'exception

Avec l'approche des fêtes, les étals commencent à se remplir de produits habituellement difficiles à trouver... J'ai pu le constater aujourd'hui même lors de mon marché dominical où quelques beaux ormeaux étaient en vente. C'est le type de coquillage que j'adore trouver par moi-même sur l'estran lors des grandes marées, en tâtant les faces inférieures des rochers où ils sont collés comme des ventouses. Mais les coins sont rares et c'est un mollusque qui a beaucoup souffert du braconnage (mais désormais en reprise).
Alors pour ne pas se tromper, hormis les ramasser soi-même en respectant la taille minimum (9 cm) et la quantité maximum (variable selon les régions), il reste peu de solutions :
Tout d'abord les ormeaux issus de pêches autorisées pour le commerce. On les trouve de temps en temps en poissonnerie et sont munis d'une bague bleue. Hors période de grandes marées, ceux-ci sont généralement pêchés en plongée.
Ensuite, on peut aussi trouver les ormeaux d'élevage qui selon les conditions de production peuvent avoir une qualité très proche de leurs congénères sauvages (cf [ici] par exemple).
Ormeaux (haliotis tuberculata). Pour les préparer, glisser un couteaux sous la coquille et détacher le muscle. Retirer ensuite le système digestifs (à conserver pour réaliser un fumet de fruits de mer très parfumé) puis retirer la tête (trop ferme). Placer le muscle dans un torchon et le marteler à l'attendrisseur sans pour autant le massacrer. Il est habituel de laisser reposer quelques heures pour attendrir encore, mais c'est inutile si le martelage est bien fait et uniforme.
Dernière possibilité : les conserves. Là, il s'agit rarement d'ormeaux de l'espèce qu'on trouve sur nos côtes (haliotis tuberculata). Ils sont généralement vendus sous leur nom anglophone : abalones. On trouve aussi parmi eux des mollusques proches, mais d'un genre biologique différent, comme par exemple les "locos" chiliens (concholepas concholepas). Personnellement, pour en avoir testés dans ce type de conditionnement, je vous les déconseille : toute la saveur des coquillages est remplacée par un simple goût de conserve. Par contre, le prix, lui, est toujours aussi élevé !

Autres coquillages d'exception, mais plus facile à trouver en poissonnerie surtout en ce moment où c'est la pleine saison : les coquilles Saint-Jacques.
Coquilles Saint-Jacques (pecten maximus), pêchées à pied en Bretagne nord lors des grandes marées de mars.
Pour les ouvrir, passer un couteau par le petit espace sur le côté de la coquille en restant au contact de la face intérieur de la moitié plate et décoller le muscle. Elle s'ouvre alors toute seule. Ensuite, si on attrape bien les barbillons, ceux-ci viennent en un morceau et seule la noix reste attachée à la moitié creuse. Avec un coup de couteau bien placé, les plus expérimentés réussissent même à ne pas emporter le corail !
Rares sont les endroits et les occasions où on peut aller à leur rencontre sans devoir prendre une embarcation. Sur les gisements, lorsque la mer s'est retirée et qu'il ne reste que quelques centimètres d'eau, on peut les repérer à l'ouverture de leur coquille qui forme un croissant de lune dans le sable. Les jets d'eau sont un autre moyen : de temps en temps, elles en projettent une grande quantité en se refermant violemment (c'est aussi leur moyen de locomotion).
Très restreinte, leur pêche à pied n'est autorisée que d'octobre à mi-mai avec une taille minimum de 11 cm et un maximum de 30 spécimens.
Pour la pêche professionnelle, c'est encore plus réglementé avec des contraintes sur les jours et horaires de pêche. Par exemple, en baie de Saint-Brieuc, seuls 8 jours sont autorisés en décembre, avec à chaque fois un créneau unique de 45 minutes. Résultat : Après la surpêche des années 80 et 90, ces restrictions drastiques ont permis à ces coquillages de repeupler la baie.

Avec ces deux merveilles dans mon panier, je ne pouvais pas me contenter d'un accompagnement "banal". Et ma maraîchère préférée avait de quoi me satisfaire : une magnifique main de Bouddha, une variété de cédrat à la forme très, mais alors très spéciale comme en témoigne la photo ci-dessous. Le parfum et l'acidité toute en subtilité du zeste de ce fruit ainsi que la légère amertume de son ziste conviennent parfaitement aux ormeaux et aux Saint-Jacques dont la chair a un goût très fin et presque sucré.
Cédrat "main de Bouddha" (citrus medica var. sarcodactylus).
Difficile de voir un agrume dans ces nombreux doigts, et pourtant c'en est bien un !
Complété par une botte de chicorée de Catalogne (ou puntarelle, voir [ici] pour plus de détails), apportant le croquant et une nouvelle pointe d'amertume, me voilà avec tous les ingrédients nécessaires pour une recette tout aussi simple que délicieuse.

3C : Coquillages, Cédrat, Chicorée


Ingrédients (pour 4) :
  • 8 coquilles Saint-Jacques
  • 4 ormeaux
  • Quelques doigts d'une main de Bouddha
  • 8 belles pointes de puntarelle
  • Huile d'olive
  • Beurre
  • Un peu de jus de citron
  • Fleur de sel
Préparation :
  • Prélever les noix des coquilles comme expliqué au-dessus
  • Prélever et battre les muscles des ormeaux comme décrit au-dessus
  • Détailler une partie des "doigts" en lamelles les plus fines possibles à la mandoline dans le sens de la longueur
  • Couper les puntarelles en 4 dans le sens de la longueur et réserver
  • Passer le reste de la main de Bouddha au hachoir électrique avec un trait de jus de citron, un peu de sel et de l'huile d'olive et mettre cette sauce de côté
  • Faire fondre une noix de beurre dans une poêle bien chaude avec un peu d'huile d'olive
  • Y faire rapidement dorer les noix de Saint-Jacques et les ormeaux (pas plus d'une minute de chaque côté)
  • Dresser en plaçant les lamelles de main de Bouddha au fond de 8 coquilles (4 moitiés creuses de Saint-Jacques, 4 coquilles d'ormeaux)
  • Ajouter ensuite les chairs dans leurs coquilles respectives
  • Ajouter les puntarelles
  • Finir avec la sauce et un peu de fleur de sel

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